Les croix de guerre françaises de 1939-1945

Destinée à récompenser des soldats qui se sont particulièrement distingués, la Croix de Guerre de 1939 est l’une des décorations les plus connues de cette époque. Elle doit être à l’origine une haute distinction dont la distribution est contrôlée drastiquement. Ressemblant à la Croix de Guerre de 1914-1918, elle ne s’en distingue que par son ruban et son millésime. Accordée à l’obtention d’une citation, elle accompagne systématiquement une Légion d’Honneur ou une Médaille Militaire. Créée pour être une récompense prestigieuse, elle devient l’objet principal du « scandale des Croix de Guerre » et fut même un objet de propagande utilisé par les deux France de cette époque. Comment cette décoration peut-elle avoir une histoire si… compliquée ?

Commençons d’abord par l’histoire de cette décoration. Lorsque la première guerre mondiale éclate en 1914, la France dispose de deux décorations symboliques très rarement décernées : La Légion d’Honneur et la médaille militaire. Les autres récompenses se limitent alors à des citations lues devant les troupes. Il faut attendre l’automne 1914 pour qu’il soit envisagé de créer une décoration spécifique à ce nouveau conflit. Un projet est présenté au parlement le 23 décembre 1914 puis adopté le 4 février 1915 avant qu’une loi ne soit promulguée le 8 avril 1915. Cette nouvelle décoration aura la forme d’une croix reposant sur deux épées et portera un ruban aux couleurs de la médaille de Sainte-Hélène. Elle sera distribuée à chaque soldat qui obtiendra une citation. Pour distinguer la valeur de la citation, on y ajoute des étoiles ou des palmes : par exemple une étoile de bronze pour une citation à l’ordre du régiment ou une palme pour une citation à l’ordre de l’armée. Au total, plus de 2 millions de croix furent distribuées suite à ce premier conflit mondial.

La guerre à nouveau déclarée face à l’Allemagne, un décret du 26 septembre 1939, instaure une nouvelle Croix de Guerre accompagnant les citations. Elle se distingue de la croix de 1914-1918 par son ruban rouge surmonté de 4 rayures vertes et porte le millésime 1939. Le 18 octobre 1939, Edouard Daladier alors Président du Conseil, déclare sur l’attribution de cette nouvelle médaille : « La Croix de Guerre constitue une haute récompense, distinguant le chef et le soldat qui se sont signalés au feu, par une action d’éclat caractérisée. Le commandement doit lui maintenir tout son prestige et toute sa valeur morale, en veillant à ce qu’elle soit décernée judicieusement et sans abus. Elle doit être attribuée uniquement pour faits d’armes et donc être réservée en principe aux combattants. Pour éviter les abus qui déprécieraient rapidement la valeur de la Croix de Guerre, le commandement veillera à ce que cette récompense ne soit pas attribuée dans certaines unités avec trop de largesse par rapport à d’autres unités engagées dans des conditions analogues. ». Malheureusement, si de nombreux soldats l’obtinrent suite à de véritables actes de bravoures à Narvik ou lors de la campagne de France, d’autres la reçurent simplement parce qu’ils n’ont pas quitté leur régiment pendant les jours de mai-juin 1940 ou parce qu’ils ont regagné la zone libre avec leur arme. Pour redorer leur image, des officiers supérieurs distribuent des Croix de Guerre avec largesse parmi leurs hommes en tentant ainsi de masquer leur propre rôle dans la défaite. C’est alors qu’éclate le « scandale des Croix de Guerre » qui conduit à une révision des attributions postérieures au 10 mai 1940.







A la demande du général Weygand, les différents dossiers sont alors réétudiés et une nouvelle version de cette médaille voit le jour le 28 mars 1941. Le ruban rouge rayé de vert est alors remplacé par un ruban vert rayé de noir en signe de deuil. Sur le revers de la croix, on y trouve désormais la mention « 1939 1940 ». La république française est toujours mentionnée. Désormais, les titulaires de cette médaille dont l’attribution est confirmée doivent impérativement remplacer l’ancien ruban par le nouveau au plus tard le 1er juin 1941 sous peine de poursuite. D’autres modèles verront le jour non officiellement par la suite avec notamment des millésimes 1939-1941, 1939-1942, 1939-1943, 1939-1944. Une dernière version non officielle remplacera la « République Française » et la Marianne sur l’avers par « l’Etat Français » et la francisque. Attention cependant de ne pas confondre ces dernières versions avec la « Croix de Guerre Légionnaire » attribuée aux membres de la LVF. Toutes ces versions seront interdites de port par l’ordonnance du 7 Janvier 1944.





De l’autre côté de la manche, se pose également la question de l’attribution de la Croix de Guerre. Des soldats continuent à se battre dans les rangs des Forces Françaises Libres et il devient nécessaire de faire fabriquer ces décorations à Londres. Cependant, le modèle doit être légèrement différent pour ne pas se confondre avec la croix de Vichy. Cette croix dite « de Londres » se différencie notamment par l’absence de date au revers. Par ailleurs, elle garde le ruban de 1939. Vu la situation de dénuement de la France Libre, ces croix sont alors fabriquées localement par des artisans britanniques et ne sont pas toujours de bonne qualité. On retrouve des variantes sans revers, d’autres dont les deux faces sont soudées l’une sur l’autre, d’autres d’une seule pièce. Le bronze est parfois plus foncé.
Cette médaille est probablement la seule sur laquelle une palme de vermeil peut être accrochée représentant ainsi une citation à l’ordre des Forces Française Libres (article 2 du décret du 30 septembre 1942 – Comité National).







Cependant, la guerre évolue et la situation des territoires français également. La 16 mars 1943, une nouvelle version voit le jour en Afrique du Nord. Si le général de Gaulle a souhaité différencier sa Croix de Guerre de celle de Vichy qui elle-même a souhaité différencier la sienne de celle d’Edouard Daladier en 1939, Giraud quant à lui décide à son tour de créer son propre modèle connu sous le nom de « Croix de Giraud » ou « Croix d’Alger ». La Marianne et la mention « République Française » disparaissent au profit de 2 drapeaux français croisés. Le millésime réapparait et devient « 1943 ». Quant au ruban, c’est un peu plus compliqué… On retrouve des rubans de 1914-1918, des croix avec le ruban de 1939. Dans d’autres cas, on peut voir des rubans avec des bandes bleues au lieu des vertes et sur certaines, une couleur rouge tirant franchement sur l’orange. Il s’agit souvent de rubans fabriqués par des artisans locaux d’Afrique du Nord.






Ce modèle d’Alger ne sera distribué que très brièvement et sera définitivement supprimé par l’ordonnance du 7 janvier 1944 (relatif aux décorations – Article 3 – Comité National), le général Giraud ayant perdu sa bataille politique face à de Gaulle. Les « Croix d’Alger » furent distribuées à environ un millier d’exemplaires et principalement pendant la campagne de Tunisie. Par cette ordonnance, De Gaulle revient à la définition initiale : la Croix officielle doit porter le millésime « 1939 » avec la Marianne et la mention « République Française » en face avant.  

La France Libre désormais devenue France Combattante continue sa guerre et envoie un Corps Expéditionnaire en Italie. Il semble alors que c’est à ce moment qu’apparait le modèle dit « de Milan ». Il s’agirait d’un modèle fabriqué entre 1943 et 1944 pour le Corps Expéditionnaire Français. Il ressemble au modèle de Daladier mais les épées sont plus fines et le millésime « 1939 » est inscrit en chiffres plus petits et plus arrondis que le modèle Daladier. Cependant, l’origine italienne de cette version ne semble pas si évidente.
En parallèle, il est également décidé de fabriquer un modèle très proche de celui de 1939 dans les territoires africains sous contrôle français en prévision notamment du retour en France. C’est un modèle généralement de mauvaise qualité : Marianne mal définie et défaut de moulage. Les chiffres du millésime sont beaucoup plus gros.













La fin de la guerre verra apparaître une toute dernière version identique au modèle Daladier avec le millésime « 1939-1945 ». Ce modèle sera initialement créé par des artisans français avant de devenir le modèle de la Monnaie de Paris toujours en vente actuellement.






Les modèles de Vichy étant interdit de port à la libération (même pour des citations obtenues lors de la campagne de France et validées - ordonnance de Janvier 1944), leur titulaire seront contraint de changer le ruban de leur médaille. On peut alors voir des rubans de fabrication artisanale.

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L’histoire mouvementée de cette décoration est le reflet de la situation politique de la France de cette époque. Les différentes versions sont à la fois les témoins de cette division de la France mais également du parcours de son armée (campagne de France, Londres, Afrique du Nord, Italie, Libération, Résistance, …).  Cette médaille fut décernée à près de 250 000 combattants, environ 1550 villes, 86 départements, 161 formations militaires ou régiments, mais aussi à des résistants et des déportés. Elle fut même fabriquée à l’étranger (par les Etats-Unis par exemple). Elle n’est cependant plus attribuée depuis le 15 juin 1947 pour les résistants et depuis le 1er août 1956 pour les autres combattants. Néanmoins, une attribution peut être obtenue à titre très exceptionnel (titulaires de la médaille des évadés avec citation ou combattants de Bir Hacheim).










Parmi les récipiendaires célèbres, citons Pierre Clostermann (Croix de Guerre avec 27 palmes - une pour chacune de ses victoires), Jean Gabin, Pierre Dac (Croix de Guerre avec Palme), Pierre Messmer (Croix de Guerre avec 6 citations), l’Abbé Pierre (Croix de Guerre avec deux Palmes), Romain Gary (Croix de Guerre avec 2 citations), Valéry Giscard D’Estaing, Dwight Eisenhower (Croix de guerre avec Palme) et enfin Winston Churchill (Croix de guerre avec Palme).